A piece of me....

Rabat le 10 avril 2012:

Il a cette vieille montre, avec une fissure sur le côté droit, qu’il touche systématiquement quand il parle avec les mains...J’ai souvent envie de lui demander de me la donner contre ma Tissot  mais je sais qu’il dira oui et ça sera comme lui enlever une part de sa personne telle que je le connais ...
Ce visage marqué par le temps et le soleil qui colore les hommes du sud
Les yeux clairs qui racontent son histoire, une mère assassinée quand il n’avait que 3 ans et un père décédé des années après, le laissant entouré de ses deux frères mais définitivement seul
Et aussi triste que cela puisse l’être , ce sont ces pertes survenues très tôt dans sa vie qui ont fait de lui l’homme d’aujourd'hui, porteur d’un amour et d’une compassion énorme pour la terre entière...
Il est très mince, et les deux paquets de Winston qu’il descend par jour ne l’aide pas à gagner des kilos ...
Il a les yeux clairs et la larme facile, le sourire encore plus facile...
On peut rester des heures, l’un à côté de l’autre, moi je sens le tabac froid de sa veste, lui écoute le rythme de ma respiration, on ne dit rien, on regarde juste dans le vide, on sait que le plus fort ne sort pas avec les mots, ce n’est pas important ce qu'on a fait en étant l’un loin de l’autre, ce n’est pas important de rattraper le temps parce qu’on ne l’a jamais perdu...
Il porte sa main à la poche de sa veste bleue, celle qu’il aime tant car elle vient de moi, et me sort une barre de Mars... Comme quand j’avais 5 ans et que j'attendais son retour du travail, je n’ai pas faim, je fais un régime depuis 1 mois, mais je mange le Mars... Je le mange et je lui souris...
Il porte la main à son portefeuille et me montre une photo, vieille, le papier a changé de couleur mais on m’y voit, moi , au fond d’un jardin , un serre-tête dans les cheveux, il me dit que je n’étais pas contente ce jour là et que je fais la même moue que je fais aujourd'hui , qu’à l’époque il m’avait offert une barbe à papa pour faire partir la moue...
Je souris je finis mon Mars ... Il sait, il sait que la moue est là depuis longtemps , il ne veut pas savoir pourquoi, il veut juste que son mars la fasse partir ...
Je lui prends la main et l’embrasse , j’ai envie d’emporter cette main avec moi, je la porte à mon cœur et avale le dernier Mars , comme j’efface le dernier trait de ma moue..
Mon père est un homme qui n’a pas fait d’études,  qui n’a pas un travail de bureau et avec qui je n’ai pas de lien de sang
Mon père est cette homme qui m’a fait grandir parce que mes parents étaient occupés à travailler et ne pouvaient pas se permettre une nounou
J’ai été confié à ma tante et son mari, et cet homme a fait que mes racines sont profondément enfouies dans la terre du Maroc
Je n’ai jamais le mal du pays, mais j’ai souvent le mal de lui.. C’est lui qui me relie à cette terre, c’est cette photo de lui en fond de mon téléphone qui me rappelle d’où je viens
On ne s’attache pas à une terre, nous sommes des nomades, la vie est là où l’eau se trouve, et notre eau ce sont ces gens qui nous portent et transportent ...
On ne s'attache pas à la terre mais on a nos racines dans nos souvenirs d’enfant
On change, mais on n'oublie pas ce qui nous définit et ceux qui nous définissent
Je porte mes racines avec moi,
Je le porte avec moi..
Je porte avec moi ce sourire, ce toucher de main, ce baiser sur le front, ce regard qui dit: je t’aime ...
Une marocaine comblée