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Je suis dans cette voiture qui roule , sur ces petites rues trouées de la campagne marocaine…
Des champs verts et vastes s'étendent devant moi, je sens l'odeur de la terre mouillée… je regarde mon père qui me sourit…je ferme les yeux .. et je te vois …. tu me regardes avec ce sourire qui illumine ton visage… je peux te toucher, sentir ton odeur dans ce châle qui entoure mon cou…
J'ouvre les yeux et je te vois dans ces champs, je te vois arpenter ces rues,belle, jeune, très jeune, et déjà travailleuse…
Je te vois faire ces kilomètres à pieds, un sac sur le dos, un autre dans les mains,
Je te vois moqueuse… j'ai envie de porter ce sac qui te plie le dos, j'ai envie de marcher ces kilomètres avec toi, de t'entendre me raconter des histoires de guerre, d'esprit et de couscous ….
J'ai envie de porter ton sac , de te prendre la main, et de te dire que je suis là….
J'ouvre les yeux et je vois cette maison de campagne, la tienne, et je souri, je me rappelle la dernière fois que j'y ai joué, je me rappelle comment tu t'es déguisé en monstre et comment tu as mis un sac sur ta tête, un marteau dans ta main et tu es entré dans cette maison pour nous effrayer .. et nous prouver à tous que le monstre de minuit existait bien… je souri, je ris, et je m'étouffe dans mon rire … je m'étouffe dans ma larme, car ce qui reste de toi aujourd'hui ce sont ces souvenirs .. que plus jamais je ne marcherai dans cette campagne avec toi, que plus jamais je ne prétendrai croire au monstre de minuit, que plus jamais tu ne m'apprendras des secrets du couscous, plus jamais je t'entendrai parler du visage du roi dans la lune….
On me prend la main, on me traine sur tes pas, je me blottis dans ces images dans ma tête, je te sens là, j'essaie de me souvenir de nos derniers mots échangés , je me rappelle de cette dernière étreinte, de ce dernier sourire, de ce dernier soupir, de cette dernière blague que tu m'as soufflé, et même dans ton absence tu arrives à me faire rire ….
Je reste là, plantée, à sentir cette présence, à attendre que tu sortes par cette porte, que tu me cries de te suivre, que tu me tendes un gâteau en cachette , parce que de tes petits enfants je suis la préférée ….
Je sens quelqu'un me prendre dans les bras , on me dit qu'il est temps de dire à dieu , et je sais que je ne suis pas prête à dire à dieu…. je ne serai jamais prête à dire à dieu… il y'a de ces gens, de ces choses, de ces instants auxquels on ne peut dire à dieu … il y'a de ces gens gravés dans notre peau et dire à dieu c'est s'amputer une partie de soi.. donc je vis avec .. je t'emporte avec moi, je te garde avec moi ..
il y'a de ces gens qu'on prend pour acquis, pour la vie…. qu'on finit pas considérer comme cette musique de fond de notre vie… on croit à tord qu'ils ont toujours été là, et qu'ils le resteront toujours, on remet à demain de leur dire je t'aime, on remet à après de les prendre dans nos bras, on remet toujours à un autre moment de donner de notre temps… parce que la musique sera toujours là…
Faire son deuil, dieu ce que je déteste ce mot, faire son deuil et aller de l'avant, qu'est ce que ça veut bien dire ?
J'irai de l'avant, mais je marcherai avec toi, je t'emporterai dans mes valises visiter le monde, je te ferai un clin d'oeil quand je réussirai un couscous, quand je laverai bien les "fesses" du poulet comme tu me l'as appris… je te parlerai quand j'aurai un doute, je te raconterai ma journée, je penserai à toi quand je vivrai des moment de pure joie, je te taperai la main à chaque fois que je gagnerai , je prendrai ta main à chaque fois que je tomberai …. je te laisse partir, mais je te garde avec moi ….
Parce que sans toi je n'aurai pas été là, dans cet appartement parisien , à mener la vie que je voulais …
Sans cette femme, pauvre, sans la sous qui sortait tous les matins faire des kilomètres à pieds pour nourrir sa famille, je ne serai pas là…
Si tu n'avais pas cru en toi, si tu avais choisis de vivre dans l'ombre d'un homme, si tu avais choisis de croiser les bras et de marier tes filles au plus offrant je ne serai pas là…
Si tu n'étais pas assez forte pour dire non au conformisme et sortir de cette campagne, seule tous les matins pour envoyer tes enfants à l'école , je ne serai pas là….
Ma grand mère était un bout de femme de 1m50, ses derniers jours étaient drôles, elle s'amusait de la bêtise des gens, de leur capacité à s'enlever rapidement, elle avait ce malin plaisir de regarder les gens s'emporter pour un oui ou pour un non, elle les entendait parler et argumenter et descendait me voir devant mon film en VO , se posait , me disait: Ils sont tellement drôles là haut ! ils se prennent la tête parce qu'ils me croient très malade ! mais moi je m'en fou, ma vie je l'ai déjà vécu ! et ta petite grand mère , elle est déjà parti tu sais! ah il est beau lui, c'est qui??"
Et qui que se soit l'acteur je répondais: " C'est Brad Pitt mami "
Elle me disait être sa petite fille préférée, et disait la même chose à ma soeur qui lui a promit un lifting du visage , je la vois encore lui tirer les joues et lui dire qu'elle la rendra encore plus belle qu'à ses 20 ans !
Aujourd'hui je parle d'elle, parce que j'ai envie de dire ce que je n'ai jamais dis de son vivant, par pudeur, par crainte de ne pas être comprise, ou parce que je considérais que ce n'était pas important qu'elle sache …
Aujourd'hui j'en parle pour dire, que ma grand mère, comme des milliers de femmes au Maroc, était le pilier d'une famille, qu'elle a porté des espoirs, des projets, des enfants, des vies … elle les a porté, et elle est sorti de cette campagne pour leur offrir une éducation, a fait toute sorte de jobs pour ne demander de l'aide à personne, pour dépendre de personne… pour ne jamais tendre la main….
Ma grand mère, comme des milliers de femmes qui ont des familles à charge, a toujours porté sa dignité
Ma grand mère , comme des milliers de femmes au Maroc et dans le monde m'a permi moi , d'avoir la vie que je voulais ….. si elle n'avait jamais marché tous les matins et tous les soirs ces 10 kilomètres qui la séparent de son travail… je n'aurai jamais parcouru le monde à me chercher ….
Je ne lui ai jamais dit de son vivant merci, mais j'espère qu'elle l'a su … qu'au-delà de l'amour, des fou rires, et des souvenirs .. ce que je lui porte c'est un énorme respect, et beaucoup de gratitude ..
Je regarde cette porte, et je sais qu'elle ne s'ouvrira pas, mais je sais qu'ailleurs, d'autres portes s'ouvrent, sur des visages ridées avec leur sourire et leurs souvenirs.. je regarde cette porte, je ferme les yeux , je t'entend rire, je sens ton odeur dans mon écharpe… et je te dis je t'aime…
